Stratégies d’investissement en Afrique. Tendances et opportunités

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Un premier fait : dans les années 1950, le Kenya avait un PNB supérieur à celui du « sous-État » que représentait alors la Corée du Sud naissante… Un second fait : le commerce intra-européen est d’environ 60 %, le commerce intra-asiatique est d’environ 52 % et le commerce intra-africain d’environ 14 %… Les infrastructures pour remédier à cette situation désastreuse pour le continent africain sont tout simplement absentes. Cela est d’autant plus regrettable que l’Afrique est un territoire d’excellence, riche et d’une incroyable jeunesse. Aussi, de quoi l’Afrique a-t-elle besoin pour relever le défi de l’entrepreneuriat, donner leurs chances à ces jeunes courageux et gourmands comme de jeunes lions et pour démentir les analyses prospectives laissant entendre que 50 % des jeunes Africains ne trouveront jamais d’emploi ! Sans doute faut-il déjà au continent tordre le cou à de terrifiants poncifs du genre « l’informel est la singularité des économies africaines ».

Le sujet de cette note sur les stratégies d’investissement en Afrique nous impose de nous interroger sur les opportunités que présente le continent mais également sur les obstacles récurrents et les différents modèles qui mériteraient d’être tentés.

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L’Afrique est incontestablement une terre de clichés : un monde d’incompétences, de corruption et de paresse, un continent de pauvreté et d’instabilité, politique, sociale et sociétale. Ce sont là les clichés couramment véhiculés à l’extérieur du continent, parfois jusqu’au sein de grandes institutions. Ceux qui vivent et travaillent en Afrique, souvent depuis très longtemps, trouverons quantité d’exemples pour démentir ces allégations, sans renier le fait qu’il y a beaucoup d’enjeux – au sens de l’anglicisme challenges, en lieu et place du vocable problèmes trop aisément usité. Oui, il est possible de faire des affaires en Afrique sans être impliqué à un moment ou un autre dans une quelconque histoire de corruption. Les investisseurs disposent d’ailleurs contre ce risque éventuel d’un bouclier qu’ils utilisent cependant trop rarement : il s’agit du corporate social responsibility, en français la responsabilité sociétale des entreprises (RSE). Si l’Afrique est redevenue très attractive aux yeux des entreprises françaises depuis cinq ans, cette attraction s’exerce aussi ailleurs, avec encore beaucoup plus de force : aussi les entreprises françaises qui figuraient parmi les premiers investisseurs étrangers sur le continent il y a dix ans – en tous cas parmi les cinq premiers – n’apparaissent même plus aujourd’hui au top 10. Les deux premières places sont dorénavant occupées par les investisseurs chinois et émiratis, devant les Italiens qui, avec un montant total d’investissements publics et privés de 11,6 milliards d’euros en 2016 (chiffres OCDE) se sont hissés en toute discrétion à la 3e place du classement, et au 1er rang européen. Le montant des investissements français s’élevait la même année à 7 milliards d’euros. “Je ne connais pas beaucoup de pays de par le monde où les ouvriers sont capables de travailler 10 heures par jour sous des températures de 40 °C, voire plus”.

Pierre-Marie RELECOM président de Relecom & Partners

Le continent regorge de grands projets : dans les télécommunications, l’énergie, l’eau ou les infrastructures routières, portuaires, aéroportuaires, etc. Mais c’est vrai, qu’en dépit de ces grandes annonces, beaucoup de projets ne voient jamais le jour. Ainsi en est-il allé du grand projet d’électrification du continent, initié par l‘ancien ministre Jean-Louis Borloo qui avait estimé le besoin de financement à environ 200 milliards d’euros.1  A contrario, que ce soit au Sénégal, au Ghana ou au Mozambique, quantité de micro-projets de production et distribution électrique sont à l’œuvre, sur des capacités unitaires comprises entre 10 et 120 mégawatts. Il s’agit de projets de petite échelle, principalement développés par des investisseurs privés qui sont la plupart du temps les acheteurs et donc qui engagent ces investissements pour diminuer leurs coûts énergétiques, restés sur le continent entre 120 et 150 dollars le mégawattheure (contre 30 dollars en France). Ils utiliseront entre 60 et 70 % de leur production et vendront le reste.

Cette manière de contourner les « lois » du développement vaut dans d’autres secteurs, à l’exemple des télécommunications. Il y a dix ans, l’Afrique ne disposait d’aucun réseau de télécommunications digne de ce nom, en l’espace de dix ans le marché africain du portable est devenu le deuxième au monde en nombre d’usagers (560 millions en 2015). Le continent a sauté une étape technologique en ignorant largement le téléphone fixe, coûteux à implanter, pour aller directement au mobile et pousser même les choses plus loin, en adoptant très largement le mobile banking. C’est dire si l’Afrique peut être une terre de disruption. Le Sénégal, le Niger ou le Rwanda ont développé des hubs de startups. Le Sénégal, toujours, a inauguré il y a un an le plus grand data center d’Afrique de l’Ouest et du Centre.

FORMER TECHNIQUEMENT

L’opérateur pétrolier Maurel & Prom s’est installé en Tanzanie en 2004. Le pays ne disposait alors d’aucune ressource humaine qualifiée en matière d’exploration et de production d’hydrocarbures. L’opérateur a donc créé son propre centre de formation. En l’espace de dix ans, le groupe a ainsi acquis une notoriété importante auprès des autorités tanzaniennes et des acteurs locaux qui le considèrent comme le précurseur dans une zone estimée à très fort potentiel gazier.

Des groupes du Moyen-Orient mais aussi allemands investissent massivement dans l’éducation et la santé. Les Qataris consacrent à eux seuls entre 2 et 3 milliards de dollars par an à l’éducation en Afrique. En réalité, pour aborder l’Afrique, les investisseurs doivent s’efforcer de regarder le continent par la région qu’ils souhaitent « adresser » et tenter de construire une convergence entre ce qu’ils souhaitent y faire et la réalité des attentes, des besoins et des compétences locales.

“Les Africains se sont engagés dans une sorte de « co-fondation » de biens d’équipement et autres.”

Ari BOUZBIB CEO de Forafric Group

LE BESOIN EN INFRASTRCTURES. L’Afrique a ré-émergé : l’espérance de vie a été allongée en même temps que le continent entamait un mouvement inégalé d’urbanisation. Aussi les Africains se sont-ils engagés dans une sorte de « co-fondation » de biens d’équipement et autres ; la téléphonie en est un exemple, ce n’est pas le seul. Des investissements sont opérés notamment dans le secteur agricole ou la petite industrie. Dès lors, les enjeux les plus pressants concernent principalement les infrastructures qui demandent à être un peu partout créées ou améliorées.

Pendant longtemps, l’agriculture en Afrique est restée sous-développée et limitée à la sécurité alimentaire pour satisfaire les besoins d’une population locale. Les conditions climatiques parfois rudes conditionnaient directement les récoltes de cette agriculture vivrière et le secteur, confronté aux problèmes de productivité, de mécanisation, de droits fonciers ou de la concurrence internationale, peine encore à se développer. Pourtant, conjuguée à l’industrie et à la capacité de transformation, l’agriculture conduira à un développement économique fort et durable, créant de la richesse à travers toute l’économie. La Banque africaine de développement a érigé l’objectif « Nourrir l’Afrique » au rang des cinq grandes priorités : les High 5.2

Cela ne fait aucun doute : l’Afrique peut se nourrir par elle- même – et l’Afrique doit se nourrir elle-même – et quand elle le fera, elle sera capable de nourrir le monde. Les agriculteurs africains d’aujourd’hui contribueront ainsi à nourrir le monde de demain.

LA DISRUPTION DANS L’AGRICULTURE EST VOUÉE À S’ACCÉLÉRER

Alors que l’Afrique souffre d’un manque de mécanisation, la société Hello Tractor permet aux agriculteurs nigérians et kényans de louer des tracteurs à faible coût en passant par leur téléphone portable. Selon la startup, dont les services ont déjà été utilisés par 22 500 agriculteurs, les rendements ont augmenté de 200 % chez ses clients. Au Kenya, encore, des réfrigérateurs à énergie solaire aident des exploitants laitiers à conserver leur production au froid et ainsi à réduire leurs pertes. En Éthiopie, au Ghana, au Malawi et au Niger, 1,2 million d’agriculteurs sont formés aux meilleures pratiques grâce aux vidéos produites par l’organisation Digital Green et à ses services de vulgarisation agricole à bas coût.

Bien d’autres innovations se profilent à l’horizon. La technologie blockchain, notamment, pourrait permettre de développer l’offre de financements pour les populations rurales en rendant les transactions financières plus accessibles et moins coûteuses, et donner ainsi aux agriculteurs et aux autres acteurs de la filière la possibilité de gérer leur chaîne d’approvisionnement plus efficacement.

“L’avenir de l’agriculture en Afrique : les nouvelles technologies au cœur d’une disruption positive” Simeon Ehui, Director Agriculture Global Practice – Banque mondiale

Quelque part, les déficits en matière d’infrastructures vont enfanter de nouvelles opportunités d’affaires. Toutefois, cette volonté et ces initiatives devront encore être soutenues par des efforts en matière de formation technique et de transfert de savoir-faire.

TROUVER LES BONS PARTENAIRES. Finalement l’Afrique, en pleine transformation, peut également être considérée comme un laboratoire pour apprendre à faire les choses différemment. Par ailleurs, l’investissement local s’y « professionnalise » alors aussi que tous les systèmes d’intermédiation traditionnels sont aujourd’hui un peu dépassés. Cela pour plusieurs raisons et notamment du fait que le cadre juridique de l’investissement devient progressivement plus strict. Des efforts considérables sont également engagés en faveur d’une harmonisation du droit.

S’agissant des grands projets d’investissement, si beaucoup d’entre eux n’aboutissent pas, c’est souvent parce que l’étude amont de faisabilité n’a pas été correctement conduite, soit par manque de financement, soit par manque d’expertise. Évidemment, ce commentaire ne s’applique pas aux énormes projets financés par la Chine ou la Turquie, qui sont avant tout politiques et financés en contrepartie d’autres avantages tels que l’accès à des terres ou à des matières premières. Dans le secteur privé, les projets qui aboutissent sont principalement ceux qui ont réunis les partenaires idoines.

60 MILLIARDS DE DOLLARS : c’est le montant annuel des transferts vers l’Afrique réalisés par les diasporas dont un peu plus de la moitié (33 milliards de dollars) pour l’Afrique sub-saharienne (source Banque mondiale). Cette manne de la diaspora ne cesse de croître, à tel point qu’elle dépasse désormais l’aide publique au développement. Selon une étude les Nations unies, ces transferts auraient augmenter de 36 % depuis 2007. Mais ces transferts de fonds sont utilisés avant tout pour répondre à des besoins de financement de la vie courante. Les deux tiers servent ainsi à l’achat de biens de consommation, souvent alimentaires, et au paiement des frais de scolarité et de santé. Ainsi, si cette ressource répond à de vrais problèmes du quotidien, elle ne vient pas vraiment irriguer les circuits formels de production et de création de richesses. Les paysans, les patrons de PME ou les artisans n’en profitent guère.

Transformer ces transferts de fonds en capitaux structurés dynamiserait à coup sûr la création de richesses et d’emplois sur le continent, en contribuant également au renforcement du secteur formel. Certains pays, comme Israël et l’Inde, émettent des bons de la diaspora qui sont mis en vente et garantis par des institutions publiques, et servent ensuite à redresser leur balance de paiement et à financer des infrastructures.

LANCINANTE QUESTION. Nombre de constats sur l’Afrique nous comblent d’entrain et d’optimisme. Mais une question demeure, lancinante : quel sera l’avenir du continent si la moitié de sa jeunesse (et même la moitié de cette moitié) y reste sans emploi ? L’Afrique a besoin, pendant les 35 prochaines années, de créer 17 millions d’emplois chaque année, alors que selon les référentiels du BIT (Bureau international du travail) et de la Banque mondiale, elle n’en crée que 8 millions environ. Avec un milliard de nouveaux citoyens – jeunes par définition, l’Afrique va devoir relever un défi qui n’a jamais été égalé, nulle part dans le monde et à nulle autre époque de l’histoire.

Il y a incontestablement un profond décalage entre la vision entrepreneuriale de l’Afrique, très positive en dépit de quelques zones d’ombre, et la vision qui prévaut au sein de l’appareil onusien – d’ailleurs partagée par beaucoup de dirigeants africains – d’une Afrique qui a surtout besoin d’aide et d’assistance au développement. Ces deux visions coexistent en ayant chacune une part de réalité, en même temps qu’elles produisent chacune aussi des effets.

Cette coexistence de ces deux visions témoigne d’une scission entre des sociétés africaines à maints égards de plus en plus « entreprenantes » et techniques, avec de forts potentiels de développements endogènes, et la communauté internationale qui, jusque dans le Programme d’action d’Addis-Abeba sur le financement du développement (juillet 2015), reste « figée » sur un schéma d’aide. Un sujet n’a pas été évoqué : c’est celui des guerres qui continuent de faire barrage au développement et à la croissance dans plusieurs pays ou régions du continent. Enfin, pour revenir à notre propos introductif, nous rappellerons un fait : que ce ne sont pas les infrastructures qui ont permis l’extraordinaire développement de la Corée du Sud, mais peut-être bien l’éducation.3 Selon le CIA World Factbook, le taux d’alphabétisation des personnes âgées de plus de 15 ans en Corée du Sud est 97,9 % en 2012, soit 99,2 % pour les hommes et 96,6 % pour les femmes. En comparaison, il est des zones en Afrique, notamment dans la bande sahélo-saharienne, où moins de 50 % des jeunes filles ont accès aux 5 années d’instruction primaire. Sur ce point, l’échec africain est patent.

Martine LE BEC rédactrice en chef de la revue Prospective Stratégique – CEPS

1. Le projet Énergies pour l’Afrique misait sur un financement de 4 milliards d’euros par an sur 15 ans. 600 millions d’Africains n’ont pas accès à l’électricité ; hormis les cinq pays du Mahgreb (Maroc, Algérie, Tunisie, Libye et Égypte) où le taux d’électrification atteint 100 % et l’Afrique du Sud (85,40 %), les taux d’électrification s’établissent sur une échelle comprise entre 15,30 % en Tanzanie et 64,06 % au Ghana. (Chiffres du Global Energy Architecture Performance Index Report 2017 prenant en compte seulement 24 pays africains)

2 The High 5 for transforming Africa, Groupe de la Banque africaine de développement.

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