En novembre dernier s’est tenu le 4eme Sommet afro-arabe à Malabo en Guinée Equatoriale.
Du point de vue africain, ce sommet s’inscrit dans la multiplication des sommets Afrique-partenaires économiques. Longtemps limités internationalement dans leurs tête-à-tête avec les anciennes puissances coloniales, les pays africains se sont émancipés au tournant du nouveau Millénaire et bénéficient de la compétition entre puissances « anciennes » (Europe, Etats-Unis, Russie, Japon) et « émergentes » (Chine, Inde, Brésil, Corée du Sud). Le principal intérêt de ce sommet est d’offrir aux pays d’Afrique subsaharienne une plateforme pour discuter avec les pays du Conseil de coopération du Golfe[1].
De leur côté, chacune des monarchies du Golfe a développé des relations singulières avec le continent. L’Arabie Saoudite et le Koweït ont promu des diplomaties religieuses très actives en Afrique dès les années 1970 notamment en Afrique du nord, le Sahel et la Corne de l’Afrique. Les autorités saoudiennes ont utilisé l’immense engouement pour les pèlerinages dans les lieux saints de l’Islam (Hajj et Oumra) pour promouvoir sa vision rigoriste de l’islam ainsi que les échanges commerciaux auprès des pèlerins et étudiants en religion. Djedda est ainsi devenu le port commercial le plus important de la mer Rouge. De leur côté, les Emirats Arabes Unis se sont appuyés sur le hub commercial, touristique, et financier d’envergure mondial qu’est progressivement devenu Dubaï pour s’imposer comme un lieu de passage incontournable pour les élites des nations africaines. Au tournant du Millénaire, le Qatar a utilisé ses ressources financières comme outil diplomatique en finançant les négociations de paix au Darfour, en Erythrée, en Somalie, ou bien en supportant des régimes considérés comme « alliés » à l’image de la Tunisie contrôlée par le parti Ennahda ou l’Egypte lors du court mandat du président Morsi. Enfin, le Sultanat d’Oman utilise ses importants liens historiques avec le continent africain pour porter ses investissements privés en Afrique orientale. Nous noterons finalement que Bahreïn est à la traine suite aux troubles internes qui ont émergé lors des Printemps Arabes au point de perdre son statut de capitale financière de la région au profit de Dubaï.
Un partenariat porté par des besoins mutuels :
Si la croissance économique des pays africains et arabes fut impactée par la chute du cours des matières premières et des hydrocarbures depuis 2014 (passant d’une croissance moyenne de 8 à 3,3% entre 2010 et 2015)[2], la complémentarité économique des deux régions reste grande.
Le continent africain connait un véritable boom démographique, s’apprêtant à doubler la taille de sa population d’ici 2050. Les opportunités économiques du continent sont estimées à $5,6 trillions. Le nouveau facteur appréciable est que cette croissance serait désormais tirée par la consommation des ménages et les investissements des entreprises. Cependant, pour se matérialiser ce développement nécessite de colossaux investissements dans les infrastructures, le transport, l’agriculture, l’industrie et les services. Si la Chine est devenue le premier partenaire commercial du continent africain, aussi bien terme d’importation que d’exportation, les investissements manquent souvent à l’appel (seulement 3% des IDE en Afrique)[3].
Les pays du CCG présentent ici un autre type de partenariat possible pour le continent africain, et qui pourrait se révéler très bénéfique. D’une part, les pays du Golfe ont des besoins de main d’œuvre assez importants, et plusieurs millions d’africains, principalement de la Corne de l’Afrique et des pays d’Afrique du Nord y travaillent. Certains de ces migrants ont connu des réussites économiques fulgurantes et contribuent aux renforcements des liens en multipliant les investissements dans leurs pays d’origine[4].
Un autre facteur positif est que les investisseurs du Golfe visent souvent des prises de participation minoritaires dans des projets ou entreprises spécialisées. Ils opèrent rarement eux-mêmes et préfèrent déléguer le management à des opérateurs locaux ou à des multinationales avec lesquelles ils ont pris l’habitude de travailler dans leurs propres pays, que ce soit les Major pétrolières (Total, Exxon, Shell, BP), les opérateurs hôteliers (Starwood, Accor, IHG, etc.), les franchises du secteur commerçant (Carrefour, Mc Donald, Tesco, Zara) ou des acteurs de la construction (Vinci, Bouygues, Salini, etc.).
Des acquisitions peuvent aussi avoir lieu, mais la plupart du temps les équipes locales sont gardées en place, et se trouvent doter de moyens pour devenir les leaders sur leurs marchés nationaux. Ceci est dû au fait que les économies des pays du Golfe ont une structure du marché du travail unique au monde, avec recours massif (près de 90% pour le Qatar) à la main d’œuvre étrangère pour occuper les postes opérationnels alors que les nationaux sont concentrés dans le secteur publique (ministères, entreprises parapubliques, forces de sécurité) et sur les postes exécutifs des groupes privés (CEO, Membres des conseils d’administration). Les nationaux sont donc très peu nombreux à être prêt pour une expatriation en particulier dans les pays en développement.
Enfin, les stratégies traditionnelles d’investissement des pays du Golfe tournent autour des principes de la finance islamique. Elles ont donc une préférence pour les investissements long termes et dans des actifs tangibles. Les investissements dans l’économie réelle – infrastructures, immobilier, services, industries – sont donc privilégiés.
Les différents types d’investisseurs :
Les fonds souverains des pays du Conseil de Coopération du Golfe (Abu Dhabi Investment Authority, Kuwait Investment Authrity, Saudi Arabian Monetary Agency, Qatar Investment Authority, etc.), alimentés par la manne pétrolière et gazière, restent les principaux pourvoyeurs d’investissement sur le continent africain. Si dans le passé, les investissements arabes se sont concentrés sur les hydrocarbures et matières premières, on assiste à une volonté de diversification depuis les années 2010 ; volonté renforcée par la chute des prix du baril depuis fin 2014. Ainsi, les fonds souverains du Golfe s’intéressent de plus en plus aux domaines des télécommunications, du tourisme, ou de l’immobilier[5]. Avec $30 milliards investis (2004-2014) dans les infrastructures[6], les fonds souverains du Golfe soutiennent le développement du continent. A noter également que l’Arabie Saoudite, de par ses besoins alimentaires, multiplie les investissements nourriciers en Afrique, notamment par l’achat de plusieurs dizaines de milliers d’hectares de terre arable, notamment en Ethiopie[7].Ces tentatives ne sont pourtant pas toutes couronnées de succès avec les échecs de nombreux projets mal ficelés.
Un autre type d’acteur qui s’implique sur le continent africain concerne l’aide internationale. Depuis le 11 Septembre 2001, les ONG islamiques sont l’objet de nombreuses critiques à l’international. Soucieux d’améliorer leur image, les états du Golfe, Qatar en tête, mènent une politique de partenariat et de co-financement avec des organismes internationaux, afin de créer des structures promouvant l’éducation et la scolarisation dans de nombreux états africains. En outre, des politiques d’aide au développement sont également menées par les états du Golfe par le biais de fonds spécialisés qui appuient les relations diplomatiques par des accompagnements financiers[8]. Au niveau sous régional, la Banque Islamique de Développement (BID) travaille avec des organismes bancaires africains pour canaliser ses investissements. Ainsi, l’année dernière, la BID a lancé un appel d’offre auprès des banques marocaines afin de gérer son fond de $300 millions pour investir dans les PME/PMI ouest-africaine.
Dubaï : Future première place financière africaine
L’émergence de Dubaï comme hub mondiale à la croisée de trois continents en fait un lieu bien connu des commerçants de 55 pays africains ainsi qu’une destination de choix pour les touristes du continent. Les législations financières favorables de Dubaï ou de Ras Al Khaïmah en ont fait un point de relais important pour de nombreux hommes d’affaire africains. De plus en plus d’investissements à destination du continent africain se discutent à Dubaï. Ceci, combiné à la présence des sièges régionaux pour l’Afrique et le Moyen-Orient de nombreuses banques ou fonds d’investissement privés sur son sol, fait que les Emirats Arabes Unis sont l’un des acteurs les plus dynamiques en Afrique (Emirates, Dubaï Ports World, Etisalat…).
Les potentialités de ce partenariat pour les grands groupes européens et français :
Le nombre de grands projets d’infrastructures que les entreprises françaises pourraient remporter en Afrique ne manquent pas. Cependant, les Etats africains sont souvent limités dans leurs capacités de financement propres et demandent aux entreprises étrangères d’apporter les financements. Les financements traditionnels de type BERD ou AFD ne permettent pas aux entreprises européennes, et particulièrement françaises, d’être compétitives eut égard la forte compétitivité des financements coréens, japonais, turcs, … sans parler des chinois.
Attirer des investissements du Golfe pourrait donc se révéler largement profitable aux groupes occidentaux. Du point de vue « arabe », ce serait aussi des partenariats gagnant-gagnant. Les groupes européens sont en mesure d’apporter leurs compétences techniques pour mener à bien des projets dans l’environnement complexe des pays africains ; de l’autre, les fonds du Golfe apportent des financements bienvenus tout en ne s’impliquant pas dans la partie opérationnelle des projets. Ce type de partenariats peut se développer en toute confiance car une large partie des grands groupes européens ont ces fonds du Golfe comme actionnaires de référence. Enfin, il convient de noter que face aux conséquences de la baisse du prix du baril les fonds souverains arabe ont un réel besoin de mener des stratégies plus efficaces et agressives et se doivent d’investir dans les pays émergents[9].
[1] Conseil de coopération du Golfe : Arabie Saoudite, Bahreïn, Koweït, Qatar, Emirats Arabes Unis, Oman
[2] Lions on the move : Realizing the potential of Africa’s economies, Mc Kinsey Global Institute, September 2016
[3] David Dollar, Heiwei Tang, Wenjie Chen, China’s direct investment in Africa: Reality versus myth, Africa Focus, 3 september 2015, https://www.brookings.edu/blog/africa-in-focus/2015/09/03/chinas-direct-investment-in-africa-reality-versus-myth/
[4] Sheikh Mohammed Hussein Al Amoudi, citoyen saoudien né et élevé en Ethiopie, avant de migrer en Arabie Saoudite et devenir le dirigeant des groupes MIDROC et Corral Petroleum Holding. Il est classe depuis de nombreuses années comme la seconde fortune saoudienne recensée chez Forbes – $10.6 milliards dans le classement 2016. Un autre exemple est Mohammed Duale, qui a commencé la compagnie de transfert de fonds Dahabshill au Somaliland avant de relocaliser sa société à Londres, et puis Dubaï. Elle opère désormais dans 126 pays. Sa fortune est estimée à près de $400 million.
[5] Maroc Telecom cédé par Vivendi pour 4,2 milliards d’euros à Etisalat, Challenge, 5 novembre 2013, https://www.challenges.fr/high-tech/vivendi-cede-sa-filiale-de-telephonie-maroc-telecom-pour-4-2-milliards-d-euros-a-etisalat_181863
[6] L.MORGHAD, L’Afrique a-t-elle vraiment besoin des fonds souverains étrangers ?,l’Afrique des idées, 2012, http://terangaweb.com/lafrique-a-t-elle-vraiment-besoin-des-fonds-souverains-etrangers/
[7] K. COOKE, Les investissements saoudiens agricoles à l’étranger : accaparement de terres ou stratégie bénigne ?, Middle East Eye, 17 octobre 2016, http://www.middleeasteye.net/fr/opinions/les-investissements-saoudiens-agricoles-l-tranger-accaparement-de-terres-ou-strat-gie-b
[8] Notamment par le biais du “Qatar Development Fund » fondé en 1976, http://www.qatarfund.org.qa
[9] D.SAADI, Arabian Gulf sovereign wealth funds pick new plays, The National, 15 July 2015, https://www.thenational.ae/business/arabian-gulf-sovereign-wealth-funds-pick-new-plays-1.31929